BABYGIRL
Prix d'interpréation féminine à la Mostra de Venise 2024
Portée par une formidable et touchante Nicole Kidman, ce thriller érotique en milieu high tech, dans lequel se juxtaposent désir et névrose sur fond de jeu de domination, fait revivre un type de production très à la mode dans les années 1980-90, rehaussé d’une salutaire relecture féministe post-MeToo
Romy, PDG d’une grande entreprise, a tout pour être heureuse : un mari aimant, deux filles épanouies et une carrière réussie. Un jour, elle rencontre un jeune stagiaire dans la société qu’elle dirige à New York. Elle entame avec lui une liaison torride, quitte à tout risquer pour réaliser ses fantasmes les plus enfouis...
Moins cérébral et expérimental que ne l’était Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick auquel on pense beaucoup, tout comme à 9 semaines 1⁄2 d’Adrian Lyne dans une veine plus commerciale, Babygirl est une passionnante réflexion sur l’emprise du désir et de nos pulsions sur notre mental.
Le film est l’histoire d’un rapport de pouvoir entre générations, genres et classes, une lutte d’influence quand le plaisir aime à dialoguer avec le risque. Plongée dans un univers bourgeois high tech et clinique où rien ne dépasse,
où tout n’est que calcul, l’action se déroule essentiellement tout en haut d’un gratte-ciel, avec ce que cela sous-tend comme métaphores sexuelles et surtout sociales, tant pour ce jeune stagiaire parti d’en bas que pour la PDG dont les objectifs professionnels et personnels semblent sans limite, capables de traverser le ciel et d’atteindre les étoiles.
Relecture post-moderne du mythe de l’étranger qui, débarquant de nulle part, vient tout bouleverser, Babygirl apporte sa touche féministe d’aujourd’hui en remettant en question les rapports homme-femme attendus.
Dans cette fièvre incontrôlable du désir et dans ce goût, obsessionnel et très contemporain, pour le culte de la jeunesse et de la perfection afin de refouler les frustrations, une femme adulte, à qui pourtant tout sourit, risque de perdre le contrôle de tout ce qui faisait de sa vie un chemin parfait.
De ce sujet souvent traité, la jeune cinéaste hollandaise retranscrit très bien l’humeur d’une époque obsédée par la performance et l’absolue perfection, où le physique et le digital se télescopent. De cette attirance homme-femme revue à l’aune de tous les bouleversements sociétaux d’aujourd’hui, Halina Reijn signe un thriller suffocant et haletant, sexy et malsain, aux portes de l’expérimentation, en laissant au placard les clichés et la vulgarité, jusqu’à
se montrer mélancolique quand il le faut. Elle traduit l’atmosphère tout en opposition, chaude et froide, et l’intériorité d’une femme à la fois au bord de l’abîme et du bonheur absolu. Le film s’engouffre dans la fine frontière qui sépare ces deux mondes comme on ne le voit pas si souvent au cinéma.
Pour l’incarner, il fallait quelqu’un de la stature de Nicole Kidman, qui trouve là un de ses meilleurs rôles, se mettant en danger de bout en bout, dégageant une intensité et un investissement dans tous les plans. La consécration aux Oscars, après le Prix d’interprétation à Venise ?
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux