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Date : 24-03-2024 10:00:28
Je trouve ce texte tellement magnifique face à la maladie…
"Voilà le petit texte qui part aussitôt tous azimuts :
Chers amis,
Il me faut annuler mes séminaires et mes conférences. Je vais être opérée sous peu, avec un diagnostic sévére.
Je serais heureuse que vous receviez cette nouvelle comme je l'ai reçue : le coeur ouvert et sans jugement. Toute existence est singulière ; celle que je vis - et qui peut-être se prolongera - est une vraie vie pleine à ras bord d'amour et d'amitié, de rencontres et de ferveur, d'engagements pour le vivant et de folie. Les épreuves y ont leur place comme tout le reste et je reçois sans marchander celle qui maintenant vient à ma rencontre.
Votre amitié m'est précieuse. Gardons vivant ce que nous avons frôlé ensemble de plus haut.
Hier, j'ai aussi téléphoné dans toutes les directions pour dire au revoir et j'ai reçu des messages d'amour à n'en plus savoir où j'étais. Quand la vie atteint cette profondeur vertigineuse, il n'est que de s'émerveiller.
Toute souffrance morale est notre incapacité d'expérimenter les choses comme elles sont, comme elles viennent à nous. Je souris de me faire la leçon mais j'aime me voir si bien disposée à la recevoir.
Chaque jour un bon jour. Une maladie est en moi. C'est un fait. Mon travail va être de ne pas être, moi, dans la maladie.
Je ne veux certes pas nier les douleurs, la souffrance que cause le détraquement des fonctions naturelles etc..., mais les espaces d'apaisement sont multiples. L'art consiste à ne pas occuper "les espaces entre" par le ruminement des douleurs traversées ou par la crainte de celles qui vont suivre.
Aussi la récolte est-elle déjà riche dans ce début d'aventure. Je suis gagnante même si je perdais tout aux yeux de ceux qui ne voient qu'un côté du monde.
Il est vrai que j'ai reçu un sacré don à la naissance : celui de tout magnifier. Il ne m'a jamais tout à fait quittée et je le retrouve dans cette allégresse profonde qui, malgré tout, m'habite.
Notre devoir le plus impérieux est peut-être de ne jamais lâcher le fil de la Merveille. Grâce à lui, je sortirai vivante du plus sombre des labyrinthes.
Vaincre la mort, vaincre la maladie : grotesque et arrogant ! Dira-t-on de quelqu'un qui a repoussé son déjeuner de deux heures qu'il a vaincu la faim, ou de quelqu'un qui prolonge sa soirée de deux heures qu'il a vaincu le sommeil ? Si je dois survivre de quelques mois ou de quelques années...Et même quelques décennies, sait-on jamais, je n'aurais pas vaincu la mort, je l'aurai totalement, amoureusement intégrée. Voilà la vérité. Elle est douce à dire.
Guérie ou non guérie, je suis dans la pulsation de la vie. Elle est si intense que je la sens dans mes doigts en écrivant : j'ai vu ce que je voulais voir et j'en suis comblée.
Pour sauver ma peau devant la détresse, je me mets debout, et au lieu de subir, j'acquiesce de toute mon âme."
Ce sont quelques extraits de "derniers fragments d'un long voyage".
Christiane Singer
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