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La réalisatrice Katell Quillévéré (Réparer les vivants, Suzanne) signe un film-fresque ambitieux, audacieusement romanesque et terriblement romantique, récit d’une liaison amoureuse qui traverse l’histoire de France tout en étant marqué par elle. D’une grande résonnance poétique et politique !
1947. Sur une plage, Madeleine (Anaïs Demoustier), serveuse dans un hôtel-restaurant, mère d’un petit garçon, fait la connaissance de François (Vincent Lacoste), étudiant riche et cultivé. Entre eux, c’est comme une évidence. La providence. Si l’on sait ce qu’elle veut laisser derrière elle en suivant ce jeune homme, on découvre avec le temps ce que François tente de fuir en mêlant le destin de Madeleine au sien...
Le film s’ouvre sur des images en noir et blanc de la France à la Libération. Aux éclats de joie des premiers plans succèdent des images plus douloureuses de femmes humiliées et tondues sur la place publique pour avoir eu une relation avec un soldat allemand. Parmi ces femmes, il y a Madeleine, enceinte. Des années plus tard, celle-ci n’a pu se défaire du sentiment de honte qui l’a envahie ce jour-là. Son fils, Daniel, demeure malgré lui le stigmate de cette souffrance, de ce dégoût d’elle-même. C’est son secret, celui qu’elle désire emporter dans la tombe, mais c’est sans compter sur Daniel qui, en grandissant, va réclamer davantage de réponses. François aussi dissimule un secret, sa part d’indicible honte que l’époque, son milieu social ne lui permettent pas de révéler… Nous suivons la trajectoire de ces deux personnages sur une quinzaine d’années, alors qu’ils tentent de se débrouiller avec leurs sentiments parfois contraires et leur soif de liberté dans une France encore prude et réactionnaire, qui n’a pas encore connu les soulèvements de Mai 68.
Katell Quillévéré compte parmi les cinéastes françaises — aux côtés de Justine Triet ou Céline Sciamma — les plus stimulantes d’aujourd’hui. Avec Le Temps d’aimer, elle démontre une fois de plus (et toujours un peu plus) l’ambition de son cinéma : un scénario (original !) étalé sur plusieurs années ; une mise en scène a priori classique mais pleine de souffle qui mélange les styles et inspirations cinématographiques sans jamais perdre sa fluidité ; deux acteurs fabuleux qui révèlent de nouvelles facettes de leur jeu ; mais surtout une étonnante modernité dans le récit qui donne au film son identité singulière. À travers l’histoire de Madeleine et François, la cinéaste interroge notre rapport à l’amour, au couple, en tant que lieu de repli, de refuge, mais aussi d’ouverture et d’émancipation. Un lieu où la honte et le secret rencontrent le désir, celui d’aimer et de vivre.
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux