UNE NUIT
Sur le thème éternel de la brève rencontre, Alex Lutz réussit une belle histoire d’amour et de complicité, sensible et profonde, bien plus qu’un exercice de style
Paris, métro bondé, un soir comme les autres. Une femme bouscule un homme, ils se disputent. Très vite, le courant électrique se transforme… en désir brûlant. Les deux inconnus sortent de la rame et font l’amour dans la cabine d’un photomaton. La nuit, désormais, leur appartient. Dans ce Paris aux rues désertées, aux heures étirées, faudra-t-il se dire au revoir ?
Après la comédie sentimentale autour d’un artiste du show-bizz vieillissant, le formidable Guy, Alex Lutz confirme son statut de réalisateur à part entière et tout le bien que l’on pensait de son travail de comédien. Dans un registre très différent, Une nuit est un film dont le dispositif modeste et spontané (caméra à l’épaule, pas d’artifices, mise en scène physique) colle parfaitement à ce qu’il veut nous raconter. C’est un film à fleur de peau, romantique, sur l’amour en crise qu’il est urgent de soigner, sur l’envie de tout recommencer en effaçant le passé (il y a cette scène où le couple de quadras enfile des vêtements de jeunes et reprend sa route, transformé), sur la beauté enivrante de l’inconnu. Construire un monde nouveau et réapprendre à aimer est ce qui anime ces inconnus dans la ville pour qui la trajectoire commune, ce rapprochement inévitable, n’est donc pas un jeu, mais une nécessité.
Film centré exclusivement sur deux êtres avec la sensation que le monde extérieur n’existe plus (comme dans un coup de foudre et que tout s’éteint littéralement autour de soi pour ne laisser visible que celle ou celui qu’on aime), Une nuit tient sur peu de choses, joue la carte du dénuement total, de l’absence d’enjeu fort, d’une croyance absolue aux comédiens (Karin Viard et Alex Lutz lui-même, si complices) et, surtout, au texte. Le couple ne cesse de parler, lance des réflexions sur les blessures de l’âme, des digressions pleines d’humour aussi, avec des mots simples et si spontanés que l’on en oublierait l’idée même de fiction. Évoquer si frontalement ce besoin d’amour et de complicité avec l’autre, de retrouver du sens à son quotidien, tout cela après la crise sanitaire que nous avons vécue, n’est sans doute pas anodin. C’est ce qui rend ce film attachant et délicat en phase avec les remises en question qui traversent l’époque. La nuit est le temps des possibles.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux